Louis Aragon ou l’art du mentir-vrai
Si Philippe Soupault a pu dire d’Aragon que « sa prodigieuse virtuosité n’est comparable – toutes choses égales – qu’à celle de Hugo », nous essaierons de montrer que cet écrivain aux masques multiples et aux incessantes métamorphoses s’inscrit dans une histoire politique, littéraire et personnelle qui condense les enjeux et les conflits du XXe siècle. Envoyé au front en 1917, Aragon participe à son retour à l’aventure surréaliste et prône un « merveilleux quotidien » issu de la rencontre du réel et de l’imaginaire. La rencontre capitale avec Elsa Triolet en 1928 suivie de l’engagement au sein du parti communiste marque la rupture avec André Breton et oriente l’œuvre sur le versant du réalisme socialiste qu’illustre, des Cloches de Bâle (1934) aux Communistes (1952), le long cycle romanesque intitulé « Le Monde réel ».
Entré dans la résistance lors de la seconde guerre mondiale, Aragon en devient le chantre à travers une poésie qui ne refuse plus les contraintes de la rime et de la métrique, opposant à la domination nazie une vision lyrique de l’amour et du courage. Fidèle au parti communiste jusqu’à sa mort en 1982, Aragon avait pris conscience du régime totalitaire soviétique dès 1952 sans pour autant le dénoncer. Il en a résulté alors un certain désarroi esthétique et politique qu’il est parvenu à dépasser à la fin des années cinquante. A partir du roman La Semaine sainte (1958) et du poème Elsa (1959), nous montrerons de quelle manière Aragon a renouvelé son écriture et décrit de manière vertigineuse les pièges tendus par le réel et les aspirations utopiques. Etablissant que la littérature développe un art du « mentir-vrai » qui permet l’exploration de soi, nous évoquerons ainsi les thèmes majeurs qu’Aragon n’a cessé d’entrecroiser tout au long de son œuvre : l’art, l’histoire et l’amour.